dimanche 6 avril 2008

Une fabuleuse fresque africaine

 

Depuis maintenant trois semaines, nous sommes en train de préparer le fameux spectacle de fin de session. Contrairement à la session dernière, les billets se sont envolés dans le temps de le dire, si bien qu'il m'était inutile d'en faire l'annonce sur mon blogue. Comme je l'avais écrit dernièrement, il régnait un tel enthousiasme dans l'air à chaque jour depuis le dernier mois que nous avions tous immensément hâte de présenter aux gens le fruit de onze semaines de formation en percussion.

Pratiques qui se répètent

Nous avons donc pratiqué durant la dernière semaine les derniers arrangements scéniques et musicaux de chaque numéro. Tout ça a commencé le lundi soir avec Mélissa Lavergne, où nous avons décidé de faire le rythme djolé suivi du soko, avec son fameux chauffé. Le tout entrecoupé bien sûr de solos! Nous décidons collectivement du contenu, qui fera les solos, qui fera les dunduns, qui fera quel accompagnement, etc. Tout ça est bien motivant.

Le lendemain, c'est au tour de la gang des Débutant 3 de pratiquer. Malgré la difficulté que représente l'exécution rythmique du Tiriba, nous arrivons à placer les différents accompagnements de façon adéquate et à tout faire pour minimiser les "faux départs" dans le rythme. Puis, nous enchaînons avec le Kassa et un de ses nombreux cassés. À la fin du cours, je suis assez rassuré pour que le soir du show, le tout soit à la hauteur.

En moins de temps qu'il ne faut, je me retrouve le lendemain soir avec le groupe des Débutant 2 pour leur pratique. Que de contenu il y a dans ce numéro! Ce sera définitivement le numéro le plus créatif de la soirée sans aucun doute! Du chant, du gumboots, de la musique, de la percussion...Beaucoup de déplacements scéniques à prévoir, à décortiquer, à modifier, à préciser...Dur dur que le métier de metteur en scène! Éric et moi sommes exténués, mais ô combien satisfaits du travail accompli.

Finalement, la pratique finale a lieu le jeudi soir en compagnie des recrues Débutant 1, où je leur apprends en quinze minutes un cassé d'intro à notre spectacle. Ça sonne tellement bien que lorsque Louis s'amène pour commencer le cours, il n'en revient pas de la finesse de l'exécution! Quand je vous dis que nous avons des étudiants de première qualité! Encore une fois, la soirée se passe en un clin d'oeil, car il faut paufiner les enchaînements, placer les quelques 80 étudiants sur scène, donner différentes directives, vérifier l'espace disponible avec les danseuses, etc...Est-ce que je peux vous dire que je n'ai pas vu ma semaine passer ?

Enfin le grand soir!

Vendredi arrive enfin, et ma journée passe en un coup de vent. J'arrive à Samajam assez tôt le temps de prendre un peu mon souffle et relaxer avant la fébrilité de l'avant-spectacle. Et très rapidement, cette frénésie s'empare de tout l'édifice. 17h30, Mélissa arrive et nous devons aller dans la grande salle faire le test de son et pratiquer avec le groupe des avancés et des intermédiaires. La pratique terminée, je retourne dans la loge au premier étage et c'est la cacophonie la plus complète, tous les étudiants étant arrivés en même temps.

Les prochaines minutes jusqu'à un peu passé 20 heures font place à une véritable tornade. Je dois vérifier un paquet de détails, des instruments jusqu'aux micros, en passant par des dizaines de questions d'élèves. J'ai dû monter et descendre des escaliers une vingtaine de fois sinon plus, me faufilant tant bien que mal entre les dizaines de personnes du public arrivant en masse. Louis m'apostrophe afin de donner des directives aux élèves de son groupe, et lorsque j'arrive en bas dans la loge, il règne une chaleur tropicale. Je prends un grand respire et je réussis tant bien que mal à faire entrer le silence dans la salle. Tous sont fébrile, l'électricité monte d'un cran, et à 20h15, le signal est donné aux élèves Débutant 1 de monter au deuxième pour aller se placer dans la grande salle.

En me postant devant la porte pour les guider, je ressens en ce moment une très grande fierté. De voir tous ces sourires, ces visages illuminés, ces yeux pétillants, cela réchauffe le coeur et me procure un pic d'adrénaline. Il est clair que les prochaines minutes seront marquées dans ma mémoire pour longtemps, très longtemps.

L'envol du kuku

Louis s'empresse de saluer le public et de leur souhaiter la bienvenue. Puis, Gotta met la table pour une atmosphère de pur plaisir et de créativité en racontant le conte de l'oiseau kuku, le rythme que les Débutant 1 vont jouer en harmonie. Le public est vite conquis par son histoire, qui se termine par l'appel. Et j'ai l'honneur d'ouvrir la soirée en musique avec mon dununba, où je joue en force les notes du rythme kuku. Bien vite, mon ami Truc se greffe à cette musique avec son sanbang, et Estelle fait de même avec son kenkeni. À ce moment, je ferme les yeux, et me laisse bercer par la musique.

Le numéro s'est terminé en force, et j'étais vraiment content de la performance d'élèves qui voilà trois mois à peine n'avaient jamais touchés à un tambour de leur vie. Les voilà debout, fiers, heureux et capables de jouer sans aucune fausse note. C'est là un exploit qui mérite qu'on en voit un petit extrait.

Liberté de créer

Après que la table soit mise pour une soirée musicale inoubliable, c'est au tour des élèves Débutant 2 de s'exécuter. Bien installé aux dunduns, je me suis laissé emporter par la force créatrice de ce groupe qui avait décidé pour l'occasion de se donner un nom de scène tout-à-fait approprié: «Liberté». Elle était très visible cette liberté sur scène. Je fus très ému de voir toute cette belle énergie se manifester sur scène, avec Gotta et son tamboa, un yankadi extraordinairement bien exécuté, un chant qui allait droit au coeur, un numéro de gumboots complètement renversant, et pour terminer, le rythme djolé et une pièce de Gotta qui fut encore une fois fort réussie.

Un groupe en or

Après toute cette frénésie, ce fut au groupe Débutant 3 de prendre place sur scène. Toute la session, Éric et moi attendions ce moment avec impatience. Nous sommes partis de rien et nous avons pris le pari assez risqué de montrer un rythme de niveau avancé à des étudiants qui en sont à leur troisième session de percussions seulement. Le pari a fort heureusement penché en notre faveur, et comment ! Après l'ouverture du spectacle avec le cassé du Tiriba, nous avons montré qu'avec coeur, persévérance et une écoute collective hors du commun, nous pouvions accomplir des miracles. Jamais je n'ai entendu un rythme avec une si belle qualité de jeu, juste assez rapide pour eux, et un délice pour l'oreille. Jugez-en par vous même!

Par la suite, nous avons entamé un autre rythme aux antipodes de l'atmosphère que nous avions instauré, en y allant d'un kassa fort, puissant, qui a fait battre mon coeur de prof à tout rompre devant ces élèves qui constituent un groupe en or et qui iront loin, sans nul doute!

Le Noir qui ressort

Après avoir joué pendant près de 45 minutes consécutives sur scène, j'ai pu profiter enfin d'un moment de pause. Que de beaux visages, de belles paroles j'ai eu droit ! On ne pouvait espérer meilleure prestation de la part des élèves. Tous étaient très, très contents du résultat. J'ai assisté au numéro des élèves intermédiaires en me trouvant une place dans la foule, et j'ai pu constaté de plein fouet toute l'évolution et le travail accompli par ce groupe d'étudiants. C'était beau, émouvant et merveilleux à la fois. Un cocktail délicieux de tous les sentiments et qualificatifs positifs possibles jaillissaient dans ma tête.

J'ai dû vite redescendre sur Terre, car après ce groupe, c'était au tour de mon groupe d'avancés de prendre la relève. J'allais enfin pouvoir jouer du djembé ! Bien vite, tout le monde est en place au sein de la foule, car c'est de là que nous commençons notre numéro. Et dès que Mélissa Lavergne a entamé le premier solo, je suis entré dans un tel état de jeu qu'il m'est difficile de le décrire en mots, tellement c'était puissant et grisant. Je ne pensais plus à rien, j'étais prêt à livrer dans un condensé de quelques minutes les trois derniers mois de pratique et de préparation.

Tour à tour, chacun des élèves de mon groupe ont livré un solo au sein de la foule avant de monter sur la scène. C'était inspirant et beau à voir. Tout le monde s'amusait. J'étais l'avant-dernier à m'exécuter. Et lorsque ce fut à mon tour de jouer, j'ai tout simplement laisser sortir le Noir Africain qui sommeillait en dedans de moi. J'étais connecté à l'énergie incroyable qui s'est installée dans chaque espace du local au cours de la soirée, et je me suis laissé porté par elle. Complètement galvanisé, j'ai laissé mes mains frapper le tambour, exprimer cette soif de jouer, cette envie de répandre ma passion pour cet instrument, cette joie d'être là tout simplement...Ça a donné tout un moment musical, d'après les nombreux cris d'exclamation et les applaudissements de la foule, qui m'ont porté jusqu'à la scène, où j'ai pu prendre un semblant de conscience de ce qui venait d'arriver...Je venais de jouer mon plus beau solo à vie.

Le reste, je vous laisse le voir par vous-même, puisque ces images valent tellement plus que milles mots...Si vous vous demandez le rythme qui était joué, c'était le magnifique soko.

 

Retour à la réalité

Après cette extraordinaire prestation, j'étais tellement fier de cette soirée. Jamais je n'avais senti autant de belles et riches émotions. C'était cent fois mieux que ce que j'avais espéré. Des dizaines de gens sont venus me féliciter de ma performance, n'en revenant pas de ce que j'avais livré sur scène. C'était la cerise sur le sundae. Se faire dire que je suis « inspirant », que je sais « exprimer ma passion », mon « lâcher-prise », wow, je ne savais trop quoi dire. Une chose est sûre, c'est que j'en avais eu assez. Dès que le spectacle s'est terminé au son de la formidable performance de Cheick Anta, vers le coup de minuit, j'ai décidé de quitter sur ce sommet...Et sur le trajet du retour, en retraçant le fil des événements, jamais je ne me suis senti autant convaincu du bien fondé de cet instrument et de cette musique. Ce soir-là, j'ai déposé ma tête sur l'oreiller en entendant encore les dizaines d'irréductibles qui jouaient encore pour toute la nuit, et bon dieu que la musique était belle, véritable berceuse...

Ça ne fait aucun doute, tout le monde arborait la même couleur ce soir-là, et ce, autant en dehors qu'en dedans.

Et cette couleur est le Noir de l'Afrique.

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