Samedi et dimanche, il y a deux semaines, j’assistais avec grand enthousiasme aux deux ateliers du maître djembéfola Billy Nankouma Konaté, fils de la légende du djembé Famoudou Konaté. Considéré comme un des meilleurs djembéistes de sa génération, Billy était en escale à Montréal pour trois jours, afin de transmettre une parcelle de son immense savoir à la communauté percussive de Montréal. Je me souviendrai longtemps de ces deux journées, puisqu’il est rare de pouvoir rencontrer un tel phénomène du djembé en chair et en os.
J’arrive donc à l’Alizé peu après midi, djembé sur le dos. Déjà, nous sommes plus d’une quinzaine à être déjà installé, disposés en demi-cercle devant la scène où trônent trois magnifiques doum-doum. Billy est en train de vérifier à ce que tout soit en place, puis son acolyte Pascal nous souhaite la bienvenue. Laissant place au fils Konaté, la magie d’une après-midi musicale peut commencer.
D’emblée, je remarque chez l’homme une caractéristique indéniable qui est aussi commune à Mamady Keita: sa très grande humilité. Tout de suite, on se sent en confiance, en relation d’égal à égal avec le professeur. C’est très difficile à expliquer, puisque c’est instinctif et très émotif, mais c’est un élément essentiel dans l’apprentissage puisque tout part de la confiance entre le maître et l’élève. Repensant encore à ces deux jours, je n’en reviens pas de tout le matériel que Billy nous a présenté, et cette quantité substantielle véhiculée provient de cette base d’égalité dont tout joueur de djembé se doit d’exprimer vis-à-vis ses pairs.
Le Tamala
Billy n’a beau qu’être âgé d’une trentaine d’années, il possède la prestance et le savoir-faire des djembéfola qui sont d’une génération plus vieille que la sienne. Il commence son cours sur les chapeaux de roues avec des échauffements de roulements assez complexes merci. Malgré le peu de gens qui réussissent (je ne vous parlerai pas de moi ici…), Billy juge que nous sommes un groupe avancé, il décide donc de nous enseigner comme premier rythme le Tamala.
Le Tamala est un rythme binaire très peu connu, puisque Billy l’a appris lui-même il y a un peu plus de deux ans seulement. C’est d’ailleurs son rôle, déterrer des rythmes inconnus confinés dans le coeur de la terre africaine afin de les faire connaître. Traditionnellement, dans les villages, le rythme est joué lors des rites où les hommes doivent choisir une femme pour épouse. Le rituel a lieu dans la grande place du village, appelée bara.
Le Dununba
Le lendemain, Billy nous a enseigné deux rythmes tirés de la grande famille des Dununba, les rythmes et les danses des hommes forts. Ces rythmes ternaires sont très complexes au niveau des accompagnements de doum-doum. Presque tous les accompagnements ternaires de djembés sont identiques. Ce sont donc les doum-doum, les appels d’intro et les solos qui définissent le rythme. Le premier des deux rythmes que Billy nous a montré est le Baradota.
Ce rythme est joué au tout début de la fête Dununba, à la maison du chef du batteur de la troupe de percussionnistes. Tout le long du chemin menant au bara (la grand place du village), le rythme est joué, en alternance avec d’autres rythmes dununba. Les percussionnistes prennent place sous le grand arbre, et les danseurs s’attroupent devant eux en même temps que tous les habitants du village. Lorsque la fête se termine, les percussionnistes n’arrêtent pas de jouer, ils continuent de jouer un autre rythme (voire même deux ou trois) sur le chemin du retour. Puis, lorsque le rythme se termine, les danseurs, particulièrement le grand danseur de Dununba, se mettent tous en ligne pour remercier les djembéistes. À ce moment, le rythme joué est Loumata, et c’est ce deuxième rythme que Billy nous a enseigné.
Ce rythme ternaire est très saccadé, notamment les accompagnements de sangban et de dununba. Chacun comporte un phrasé de 7 mesures ternaires qui dictent les pas aux danseurs. En effectuant les pas, les danseurs tournent sur eux-mêmes, faisant tournoyer la poussière autour d’eux. Cette cérémonie musicale est une véritable prouesse technique et physique puisqu’elle dure souvent plusieurs heures, et les percussionnistes doivent transporter leurs instruments avec eux.
Pour clore cette fin de semaine intense en apprentissage, j’ai eu droit à un formidable spectacle de Billy avec la formation afro-québécoise Taafé Fanga. Un moment de pure virtuosité alors que le grand maître, vêtu de son costume orange de feu, a enflammé l’Alizé par son jeu et ses frappes qui fendaient l’air à la vitesse de l’éclair. Et que dire de ceux et celles qui l’accompagnaient! Quel moment de fierté que de voir des profs (qui sont maintenant des amis) jouer de tout leur coeur et avec toute leur énergie au service d’un djembéfola de la trempe de Billy. Grandiose!
Je termine avec un mot en Malinké que Billy nous a dit à la fin de chaque journée d’ateliers. Ce mot est Iniké, et veut dire «Amitié» en langage guinéen. Comme quoi le djembé est le symbole de l’Amitié.
Voici un vidéo déniché sur Youtube qui vous permettra de mieux apprécier la grande virtuosité de ce maître.