lundi 26 janvier 2009

Ceux qui se tiennent debout

Depuis septembre 2008, j’ai la très grande chance et le grand honneur de pouvoir enseigner à un groupe de personnes qui représentent un modèle de persévérance et une source de très grande motivation. Cette si belle rencontre a transformé encore une fois la façon avec laquelle j’enseigne la percussion. Elle y a apporté une dimension profondément humaine, où l’apport du tambour transcende le simple plaisir de jouer de la musique et apporte un baume, un bien-être insoupçonné.

Le premier contact

C’est à la mi-septembre que j’ai mis les pieds pour la première fois au centre de réadaptation Lucie-Bruneau situé dans l’est de Montréal. J’y avais été invité par Claudine, une éducatrice physique spécialisée qui a eu l’idée un peu farfelue d’initier son groupe de personnes handicapées à la percussion. « Pour eux, le but premier est de pouvoir se délier les mains, s’amuser, et travailler leur dextérité », m’a-t-elle écrit dans son invitation. Beau défi ! J’étais déjà fort enthousiaste.

En pénétrant dans la bâtisse cette journée-là, j’ai tout de suite senti que ce n’était pas un endroit comme les autres. Il y régnait une atmosphère de calme et de bonne humeur. J’allais être dans les prochaines minutes grandement surpris par cette première impression très favorable. À peine arrivé, une fille pleine d’énergie vient à ma rencontre et c’est ainsi que je rencontre Claudine pour la première fois. Durant les deux heures qui suivirent, j’ai visité le centre de fond en comble, découvrant un tout nouveau monde, celui des gens qui accomplissent des pas de géant à chaque jour, pour se libérer d’une prison: leur corps qui ne répond plus.

L’enjeu

Avec elle et avec l’aide d’une ergothérapeute, nous avons discuté de l’approche primordiale à adopter avec les participants. Nous avons décortiqué ensemble les nombreux obstacles à surmonter pour garantir le succès des cours. Imaginez-vous seulement être assis dans un fauteuil avec vos jambes complètement inertes, à tenter d’être confortable avec un djembé entre les cuisses, tout en essayant de coordonner vos bras pour frapper sur la peau! Il fallait donc imaginer des façons d’attacher les instruments, et tenir compte des handicaps de certains participants, notamment les spasmes et les muscles qui se contractent sans avertissement.

Toute cette discussion me fascinait puisqu’évidemment, je n’ai pas à penser à cet aspect lorsque j’enseigne d’habitude. Et soudainement, j’ai pris conscience que ce cours allait être non seulement un moment très important  de détente dans leur semaine, mais également, une étape très significative dans leur processus de réadaptation. Surtout que les participants de mon groupe sont rendus à la dernière phase de leur réintégration dans une vie “normale” (si on peut qualifier ça ainsi…). Pour la plupart d’entre eux, cela fait deux ans ou plus qu’ils sont en processus de réadaptation, essayant de retrouver le maximum d’autonomie que le hasard de la vie leur a enlevé sans crier gare.

L’injustice du destin

Je me souviendrai probablement toute ma vie du premier instant où j’ai souhaité la bienvenue au groupe qui se tenait devant moi, dans la grande salle vitrée du cinquième étage de l’édifice, baignant dans la lumière du soleil automnale. J’ai appris à connaître des gens pour qui le malheur a frappé sordidement, sans raison…J’ai été très ébranlé par l’histoire de cet ex-policier qui avait une passion sans borne pour son métier, vivant avec sa nouvelle conjointe, visitant régulièrement ses deux enfants adolescents. Le profil type du bon vivant. Son accident de moto a changé à jamais le cours de sa vie. Sa copine a réussi à garder son intégrité physique, au prix d’un déficit d’énergie perpétuel, tandis que lui, c’est exactement l’inverse qui lui est arrivé. La tétraplégie s’est avérée une conséquence fatale du destin, mais son énergie qu’il continue de manifester à chaque fois que je le vois lui a probablement sauvé la vie…

Je retiens également l’histoire très poignante d’un autre participant avec qui j’ai discuté longuement lors d’un souper de groupe au restaurant. Sa copine était assise à ses côtés. À les entendre parler, à les voir se regarder intensément dans les yeux, j’ai été témoin d’une des plus belles scènes d’amour qu’il m’ait été donné de voir.  L’événement hautement tragique qu’ils ont vécu a eu comme conséquence de solidifier leur union, après toutes les épreuves subites, après les visites à l’hôpital dont le nombre dépasse l’imagination…

J’ai également découvert avec grande satisfaction que l’humour est la meilleure arme contre les dures épreuves de la vie. En discutant avec cet avocat à la table du restaurant, j’ai pu constater son sens de l’humour très aiguisé, lui qui me racontait les anecdotes de ses premières journées passées au Centre, quelques jours à peine après son accident de voiture. Et je me souviendrai toujours également du lundi où, au tout début du cours, il entra dans la salle avec le grand sourire, nous annonçant qu’il était grand-papa depuis ce matin-là. Pas besoin de vous dire, il a joué du tambour avec un entrain contagieux!

Tout le monde se lève

Toute cette belle session de cours a culminé en un événement qui m’a grandement ému à la mi-décembre. Lors de leur dîner de Noël, il a été convenu de tenir un petit spectacle avec mon groupe. Ce fut un moment inoubliable, puisque j’avais devant les yeux la preuve éloquente que la musique permet de se libérer totalement d’une prison qui leur a été imposée sans raison et tout-à-fait injustement. Tous ont joué ce jour-là avec fougue, avec le sourire, avec la passion et avec un grand sentiment de bien-être. Et lorsque nous avons tous joué le roulement final au tambour et que le son des djembés se sont évanouis dans la salle, j’avais les yeux embués par le sentiment de fierté et d’accomplissement. Et derrière moi, tous ont fait la preuve qu’ils savent se tenir debout.

Aujourd’hui, 26 janvier, je retourne là-bas pour entamer une deuxième session de cours avec eux. Et c’est avec cette image en tête que je vais les accueillir à nouveau, afin que nous puissions à nouveau nous tenir debout, fiers d’être en vie.

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