La soirée était tout simplement parfaite. Comme lorsqu’une salle est de toute première qualité pour un artiste de renom. Une mise en scène parfaite pour vivre un moment que tous considéraient déjà comme unique, grandiose et sans aucun doute, à ne pas manquer: la réunion tant attendue des Colocs, groupe culte québécois des années 90 dont le regretté leader et chanteur, André «Dédé» Fortin, s’est enlevé la vie il y a maintenant 10 ans, se faisant hara kiri.
Il y a des groupes musicaux qui naissent et qui meurent, mais peu réussissent à transcender les générations comme les Colocs ont réussi à le faire. Parmi la foule plutôt impressionnante, il n’y avait pas moins de quatre générations différentes, de tout âge et de toute culture. C’est à l’image de ce groupe qui a su être à l’avant-garde de son époque, voulant mettre en pleine face du peuple québécois son ouverture sur le monde, porte étendard de son hospitalité.
Sans avoir besoin de se le communiquer verbalement, tout le monde avait très hâte de fredonner les airs connus des tounes qui ont bercé notre adolescence. Et malgré la mort de Dédé, tous pouvait ressentir sa présence, car le seul fait que les membres restants du groupe se réunissent pour la première fois depuis sa disparition, sur une aussi grande scène, est un événement en soi.
Peu avant 21h, la foule se massait le plus près possible de l’immense scène aménagée au coin des rues Jeanne-Mance et Maisonneuve. À gauche et à droite, les paroles désormais classiques des refrains des chansons du groupe retentissaient, et une électricité montait. Et c’est dans une énergie gonflée à bloc que le spectacle a commencé lorsque Sébastien Ricard, alias Batlam du groupe Loco Locass, s’est avancé seul sur scène, faisant signe à la foule de se taire, afin d’entendre ses coups de souliers à claquettes. Puis, la troupe de Gumboots Bourask se joignit à lui, lançant la soirée avec une salve de coups de bottes de caoutchouc bien sentis. Déjà, le moment musical était unique en soi. Puis, les sons des doum-doum et du djembé des frères Diouf ont retenti dans la nuit, marque de commerce des Colocs, et Mike Sawatsky, guitariste du groupe, fit son entrée sous un tonnerre d’applaudissement.
Lorsque les Loco Locass sont venus chanter Passe moé à puck, Tout seul et La traversée, la soirée a décollé sur des chapeaux de roues. C’était magnifique et délectable de voir le phœnix des Colocs renaître de ses cendres, et leur musique n’a pas pris une ride. La guitare de Sawatsky et la basse de Vanderbeist sont toujours aussi bien accordées. Et que dire des percussions des frères Diouf!! Wow! Toute la soirée, je n’avais d’yeux que pour les doum-doum d’El Hadji et du djembé de Karim. Tout le génie des Colocs réside là: amalgamer des instruments qui à prime abord n’auraient jamais leur place dans un spectacle de musique rock et festive.
Toute la soirée, j’ai été envahi par un capharnaüm émotif où se mêlaient la joie, la mélancolie, l’extase…J’étais complètement envahi par les souvenirs de l’époque où je chantonnais les classiques des Colocs. Quand Mike Sawatsky a entonné les premiers riffs corrosifs de Séropositif Boogie, une décharge électrique m’a traversé la colonne tellement c’était troublant de réentendre à travers la voix du guitariste et ami de Pat Esposito, harmoniciste du groupe décédé du sida, toute la fougue de cette puissante chanson. Et que dire de Pierre Lapointe, véritable ovni dans l’univers des Colocs! Avec un «tabarnak» bien senti, il a sauté sur scène pour chanter Mauvais caractère et Juste une p’tite nuite, ma chanson préférée des Colocs. Wow…un moment d’anthologie.
La soirée était loin d’être terminée. Les frères Diouf ont été étincelants lorsqu’ils ont été à l’avant-scène pour nous lancer quelques salves de djembés avec leur voix si belles. Sébastien Ricard a été bouleversant dans son interprétation de Belzébuth (MISE À JOUR 12-08-2009: meilleure qualité), et nous retrouvions l’instant d’une chanson l’incarnation en chair et en os de Dédé. Sébastien Plante du groupe Les Respectables a été vraiment très généreux dans son interprétation de la désormais classique pièce Tassez-vous de d’là. Jamais une foule n’a paru aussi heureuse de chanter en chœur avec le groupe. Tout juste après, installé à la guitare sur une plate-forme qui se soulevait dans les airs, Marc Déry a entonné les premières notes du Répondeur, et c’est à la lumière des briquets (oui, des briquets, et non des cellulaires, comme dans le temps des Colocs…) que tous ont chanté en silence et en buvant les paroles de cette très triste complainte de Dédé, annonciatrice de sa triste fin.
Tout le monde croyait avoir atteint l’apothéose émotive avec cette pièce, mais ce n’était que le hors-d’oeuvre au clou de la soirée. Les murs de la place des Arts ont soudain été tapissés de projection de chandelles, et ce fut un moment du spectacle que je n’oublierai jamais, car la foule a découvert pour la toute première fois la pièce ultime de Dédé et des Colocs, la Comète, dont voici les paroles:
Comme le temps est pesant en mon âme escogriffe
Un grand ciel menaçant, un éclair qui me crie
Ton coeur est malicieux, ton esprit dans ses griffes
Ne peut rien faire pour toi et tu es tout petitLes nuages voyageurs font des dessins abstraits
Ils me parlent de bonheur que jamais je n’entends
Je pourrais faire comme eux et partir sans délai
Léger comme une poussière transporté par le ventEt dans la solitude de ma danse aérienne
Le courage revenu, je trouverais les mots
Je réciterais sans cesse des prières pour que vienne
La douleur du silence d’un éternel repos, mais…Épuisé que je suis je remets à plus tard
Le jour de mon départ pour une autre planète
Si seulement je pouvais étouffer mon cafard
Une voix chaude me dirait : tu brilles comme une comèteComme la lune est moqueuse quand elle s’empare du ciel
Elle me regarde aller comme une lampe de poursuite
Je voudrais la détruire ou me poser sur elle
Étourdi par son charme qui jamais me quitteJe suis comme une loupe que le soleil embrasse
Ses rayons me transpercent et culminent en un point
Allument le feu partout où se trouve ma carcasse
Et après mon passage il ne reste plus rienEt dans la solitude de ce nouveau désert
J’aurais tout à construire pour accueillir la paix
Et tout mon temps aussi pour prévenir l’univers
Que la joie est revenue et qu’elle reste à jamais… mais…Condamné par le doute, immobile et craintif,
Je suis comme mon peuple, indécis et rêveur,
Je parle à qui veut de mon pays fictif
Le coeur plein de vertige et rongé par la peurDédé Fortin
Lorsque la pièce commença, la foule s’est tue religieusement, car nous entendions tous la voix de Dédé qui chantait le premier strophe de la pièce. Au beau milieu de la scène, un projecteur éclairait une chaise sur laquelle reposait la guitare de Dédé, avec au sommet de son manche son éternel chapeau melon, et à son pied, ses souliers à claquette. Il était carrément là, sur scène, avec nous tous, ce fut un de ces moments que tous se rappelleront dans des dizaines d’années. Puis, le monument de la chanson québécoise Paul Piché est venu sur scène le rejoindre, et voici ce que ça a donné.
Complètement soufflé par ce qui venait de se produire, la foule essuyait ses larmes car elle venait de retrouver de bons vieux copains qui s’étaient absentés bien trop longtemps.
Pour ma part, les Colocs représentent un groupe phare, puisqu’ils m’ont permis de découvrir la musique africaine et la percussion au travers de leur musique. Et surtout, surtout, ils viennent de me faire vivre un des plus beaux moments de ma vie en compagnie de mes amis. En fait, il n’y a que les Colocs pour nous rappeler que la vie passe comme une Comète.
Merci Dédé, merci les Colocs et que votre musique soit immortelle!
Compilation vidéo de la soirée
MISE À JOUR (14-08-2009): Extraits vidéos du spectacle diffusé à Radio-Canada
- Tout Seul et Julie
- La rue principale et Séropositif Boogie
- Mauvais caractère et Juste une p’tite nuite
- Belzébuth
- Tassez-vous de d’là et Le répondeur
- La comète (pièce inédite de Dédé Fortin) et Paysage