Depuis maintenant trois semaines, je suis devenu le bras droit officiel des cours de tambour débutants à Samajam. Pour être plus précis, je suis en charge du réchauffement de la classe les mardis et les jeudis soirs, chaque fois avec un groupe d'une quarantaine de personnes. Ma job consiste à faire en sorte que lorsque le prof arrive, le toit est prêt à sauter. Il faut que l'énergie monte, tout en ne mettant pas la barre trop haute tout de suite en partant. Le tambour étant un instrument où la force et l'endurance sont maîtres, on se doit d'y aller en douceur, pour aboutir à une communion où les gens sont allumés et prêts à apprendre la matière des rythmes.
L'échauffement dure une trentaine de minutes la plupart du temps. Un demi cadran d'horloge qui passe à chaque fois vite comme l'éclair. Un moment où j'ai carte blanche, le tambour du prof étant mon porte-voix. Dès que je mets les pieds dans le local, et que j'installe mes duns et j'accueille les premiers arrivants, le temps s'arrête. J'entre dans un état de lâchez-prise total, où je laisse au pas de la porte mes tracas quotidiens.
Je ne suis pas un adepte des réchauffements traditionnels. Du genre ceux qui se font pour clarifier les frappes, ou bien augmenter la souplesse. Non, je préfère de loin jammer sur les rythmes qui ont été vus auparavant. Le tout dans une atmosphère totalement neutre, sans pression, sans direction précise. Je veux juste que les élèves aient le temps de s'installer, d'attacher leur djembé, afin de faire en douceur la transition entre leur routine et son antithèse qui durera un bon deux heures.
J'aime aussi être sans filet. Je ne me prépare donc pas à l'avance pour le réchauffement. De toute façon, au nombre de fois où j'ai été présent en temps qu'élève, je commence à savoir comment un bon réchauffement se doit d'être. Il faut savoir répandre sa passion, c'est aussi simple que cela. Sans tremper dans l'exagération, il faut communiquer le goût de jouer à ceux qui, dans quelques minutes, goûteront à la sagesse et à la richesse des rythmes africains.
Je commence donc en douceur à jouer un accompagnement de rythme que les élèves veulent jouer. Puis, chacun embarque, et cela a un effet d'entraînement incroyablement puissant. Bientôt, tout en sentant la sueur perler sur mon front, j'augmente la cadence, puis je diversifie les accompagnements au travers du groupe. Et au fur et à mesure que je vois les sourires apparaître sur les visages, je sais que je fais bien mon job.
Ainsi, lorsque le prof entre dans le local, accueilli par le tonnerre du rythme d'une cinquantaine de djembés, la soirée ne peut tout simplement pas passer inaperçue. C'est le moment fort de la semaine, où on se sent incroyablement présents. Et où les aléas de la vie n'ont plus d'importance. Et après le cours proprement dit, lorsque les gens viennent me voir et me disent à quel point ils ont apprécié leur soirée et n'attendent plus que ça pendant leur semaine, je sais qu'en quelque part, le rythme est un besoin essentiel à l'être humain.