Comme d'habitude, les membres du band de percu arrivent tous vers 18h, et tranquillement nous installons nos instruments, et on se réchauffe pendant que les danseuses arrivent. Puis, dès les premières notes du yankadi, je sens une sensation bizarre s'emparer de moi. Depuis que je peux considérer la percussion comme étant ma passion, j'y éprouve toujours, lorsque je suis en pleine possession de mes moyens, la sensation de vivre mon rythme. Et je décrirais cette impression ou cet état de la façon suivante, tel que vécu dans le temps au fil des minutes.
Tout d'abord, après que le leader ait joué l'appel, le groupe joue chacun sa partie, et le rythme, puissant, envahit la pièce. Les oreilles captent les ondulations de l'air, le cerveau décode les sons, tantôt caverneux, tantôt cristallins. Ce contraste auditif entre dans le corps par les oreilles, passe par la tête, et nous touche droit au coeur. Et dès cet instant, vient s'ancrer en nous, au plus profond de soi, un état de plénitude.
Ce soir, cet état de plaisir s'est transformé pour ainsi dire en quelque chose de plus intense encore. J'étais, si on peut décrire cela en mots, en pure communion avec ce qui m'entourait. D'abord, parlons des danseuses. C'est certain, il y a là un phénomène totalement unique qui se déroule. Au départ, ces personnes sont à toutes fins pratiques dans leur fin de journée, elles ne se parlent pas nécessairement, elles attendent, fatiguées et, cette semaine particulièrement, transies de froid. Puis, durant le cours, elles en viennent à se transformer exactement de la même façon pour en arriver à ne former plus qu'un (ou devrais-je dire une puisqu'il y a juste des filles dans le cours). Les voir se déhancher aux sons des claquements de peaux de chèvre, exactement en même temps, s'avançant si proches de nos tambours, nous souriant, est une bouffée d'énergie incroyable. Et c'est là le secret de vivre son rythme. En vivant ce moment, on ne peut faire autrement que d'oublier la douleur des muscles qui sont complètement ankylosés. Des mains toutes rougies et enflées. De la sueur qui coule sur le front. On part sur une autre planète, le corps prend enfin sa place, endormant tel un somnifère le cerveau.
Ce soir, en me tournant de gauche à droite tout en jouant, je vois mes amis percussionnistes, qui sont tous dans le même état. Ce qui décuple la sensation. Voir Nanci se démener sur son tambour à ma gauche, et voir Cheik Anta à ma droite qui fait gronder son djembé. Entendre derrière moi les battements des douns et le ding des cloches. On ne peut pas faire autrement que de vivre son rythme. On ne peut pas faire autrement que de crier comme un fou. On ne peut faire autrement que de se demander si on rêve ou bien si on est éveillé. Et à la fin, quand le cours se termine et que la musique se tait, on ne peut faire autrement que d'avoir un sourire béat pour des heures et des heures.